QUEL QUOTIDIEN POUR LES CANDIDATS INDÉPENDANTS DE QUARTIERS POPULAIRES?

Ils sont de Marseille (13), Saint-Denis (93), Cergy (95) ou d’Avon (77) mais ont tous un point commun : ils sont candidats indépendants aux élections législatives et issus de quartiers populaires. Malgré l’alliance de la gauche et la création de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale), Sanaa, Amina, Bakary et Kevin pourtant acteurs de terrain depuis des années n’ont pas été investis. Trois d’entre eux ont choisi de maintenir leur candidature coûte que coûte mais entre difficultés financières, vie privée et présence sur le terrain, à quoi ressemble le quotidien d’un candidat indépendant ?

“NOUS, C’EST LA VRAIE VIE” : DES ACTRICES ET ACTEURS DE TERRAIN

Premier dans beaucoup de départements de banlieue, des scores jamais vus dans les quartiers populaires à la présidentielle, on a attribué à Jean-Luc Mélenchon, candidat LFI à la présidentielle 2022, le statut de “candidat chouchou” des classes populaires. Pourtant, même si beaucoup s’étaient alignés à voter pour lui en avril dernier, il n’en est pas de même pour les législatives. Depuis la NUPES, certains candidats ne font pas l’unanimité dans les quartiers populaires. Jugés “Illégitimes” ou “hors-sol” selon certains habitants qui ne rechigneront pas à voter ce dimanche pour un profil plus local. 

Quand Sanaa Saïtouli se balade à Cergy-le-Haut non loin du quartier de La Croix Petit qui l’a vue grandir, son ancrage territorial ne fait aucun doute. Les Klaxons, les pouces en l’air, les “Eh, Sanaa, ça va ?” et les sourires, c’est évident, à Cergy, Sanaa est chez elle. Elle est face à Aurélien Taché, député sortant LREM investi par la NUPES. Si la Cergyssoise de 40 ans avait “vu les choses venir”, elle ne cache pas moins sa déception : “On [Cergy Demain] a fait le sale boulot en appelant à voter Mélenchon à la présidentielle et il ne m’a pas nommée. Nous on est légitimes depuis plus de vingt ans, on connaît le terrain, on y vit”.

“Quand on a vu l’alliance de la gauche, on savait déjà que ça allait être compliqué”

Même constat pour Kevin Vacher, militant pour l’éducation populaire à Marseille. Une enfance à Nice puis à Marseille, les quartiers Nord n’ont plus aucun secret pour lui. Militant au sein des collectifs 5 novembre et Nos vies Nos voix, ce sociologue de formation qui s’était concerté avec les habitants de la ville a préféré retirer sa candidature “au profit de la NUPES” : “Quand on a vu l’alliance de la gauche, on savait déjà que ça allait être compliqué”. Pour Kevin, ce n’est pas le pouvoir qui compte, avoir retiré sa candidature “ce n’est pas la fin du monde non plus”. En revanche, il met un point d’honneur aux valeurs que Manuel Bompard, le candidat NUPES devra incarner et a exigé trois conditions : respecter les propositions de lois citoyennes, faire en sorte que les mouvements citoyens aient leur place au Parlement et impliquer les habitants dans la conception des lois.

À Saint-Denis, c’est un peu différemment que Bakary Soukouna, candidat de la deuxième circonscription de Saint-Denis avec le mouvement Seine-Saint-Denis au cœur appréhende ces élections : “Moi je ne voulais pas être investi par la NUPES. C’est nous, les quartiers populaires, qui leur servons la soupe à chaque fois. On a voulu à notre tour écrire une histoire qui nous soit commune pour les avantages du territoire”. 36 ans, une vie entière passée à Saint-Denis, dans le quartier de la Plaine puis à Allende, Bakary connaît bien son territoire, il est aussi président de l’association Nuage. Se retirer au profit de Stéphane Peu, le député investi par la NUPES ? Hors de question “J’ai ma place, je suis légitime et je vais montrer qu’on [les habitants de quartiers populaires] a la capacité d’être en politique”.

ARGENT, TEMPS, ÉQUILIBRE À TROUVER… LES DIFFICULTÉS D’ÊTRE CANDIDAT INDÉPENDANT

Amina Bacar est candidate dans la troisième circonscription de la Seine-et-Marne. Pour cette ancienne maire adjointe, la NUPES a certes rassemblé les forces de gauche mais “pas toutes” en oubliant les représentants des quartiers populaires. Celle qui veut être “une députée utile” a déjà l’emploi du temps d’une ministre. Entre la journée de travail, le “temps de qualité” qu’elle souhaite passer avec ses trois enfants, son mari et le tractage, les journées sont chargées. Et même si elle peut compter sur le soutien de ses proches, l’investissement est à plein temps : “On court, on court, on court, on a tout à faire nous-même. Ce n’est pas sans difficulté”. Même combat pour Bakary, le conseiller municipal raconte qu’il prend des congés pour faire campagne, tracter, aller rencontrer les gens “contrairement aux autres candidats qui vivent de ça et qui sont déconnectés de la réalité”. 

“Maman veut changer le monde. Elle va y arriver”

Autre difficulté: le financement. Pour sa campagne, Sanaa a misé sur une des valeurs des quartiers populaires : la solidarité, des donations de la part de ses proches, leur accueil comme avec son dernier meeting populaire sur un ring de boxe. Un nouveau lieu à Puiseux-Pontoise ouvert par “ un grand du quartier”. Mais elle évoque aussi d’autres difficultés, celles pour lesquelles il est moins facile de relativiser : des “coups bas”, des “rumeurs” lancées dans la ville, une réputation de tricheuse… Et surtout un bébé de 8 mois qu’elle allaite encore. Le porte à porte, les réunions d’appartements, aller chercher ses deux filles à l’école, tout cela, c’est “beaucoup d’organisation”. Mais quand on interroge ses enfants : est-ce que ça vaut le coup tout cela ? “Oui, maman veut changer le monde. Elle va y arriver”. 

Dans le sud à Marseille, le côté financier était “un enjeu mais pas une grande difficulté” pour Kevin. Le RSA comme seule source de revenu, le militant pour le droit au logement ne pouvait assurer sa campagne à lui seul. Comme solution, il a trouvé la levée de fonds, 10 000€ récoltés, les réseaux de voisinages pour les locaux de réunion en insistant bien auprès des habitants qu’il côtoie : “la campagne, c’est d’abord la vôtre”. Pour lui, le plus important a été le soutien moral de sa base: “J’avais besoin de la validation de mes amis, des familles avec qui je me bats au sein du collectif 5 novembre, (…)  Je leur disais ‘’mais… ce n’est pas délirant ce que je vous dis là, me présenter aux élections législatives ?’’”. 

DES CANDIDATS ANIMÉS PAR LA VOLONTÉ DE DÉFENDRE LES INTÉRÊTS DES QUARTIERS POPULAIRES

“La société idéale fait de la place aux gens et prend soin de ceux qui sont déjà là”

Amina et Bakary croient en la force de l’échelle nationale. Là où il est parfois difficile d’agir lorsque l’on est élu municipal, la portée nationale a plus de poids dans les enjeux importants des quartiers populaires : la santé, l’éducation, le handicap, le logement, l’écologie et les rixes. L’importance d’une portée nationale pour “fédérer”, “connecter” parce que finalement la société idéale “fait de la place aux gens et prend soin de ceux qui sont déjà là” affirme Bakary. 

Photo : Mona Sarr

Après avoir collé son affiche devant l’objectif de son caméraman, Sanaa scande avec passion “il faut des positions claires pour les quartiers !”, rendre des comptes aux habitants, les recentrer et créer une intelligence collective, c’est ce qui anime la candidate du mouvement Cergy Demain qui veut voir ses citoyens vivre dignement “de leur naissance jusqu’à leur mort”. Et pour cela, elle n’hésite pas à reprendre les mesures phares de Jean-Luc Mélenchon (LFI) : SMIC à 1400€ et la retraite à 60 ans notamment.

Pour Kevin, c’est une évidence “ça devrait être naturel que des précaires entrent à l’Assemblée nationale”. Bien qu’il ait retiré sa candidature, le marseillais s’autorise à espérer une vie meilleure pour les quartiers populaires du territoire. Des mesures jugées “vitales” pour protéger la vie de chacun, contre les violences policières, la criminalité organisée, contre les violences sexistes et sexuelles. Et tout cela, Kevin en est sûr, “c’est à nous, habitants des quartiers populaires, de le faire”. 

 
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