LES JEUNES NANTERRIENS RACONTENT LEUR QUARTIER


L’année 2023 a été marquée par la mort du jeune nanterrien Nahel âgé de 17 ans, causée par le tir à bout portant d'un policier. Un tragique événement ayant causé des mouvements dans la ville et l’ensemble des quartiers populaires français. Depuis, la ville de Nanterre est uniquement abordée durant des contextes de crise sociale, de rixes et de fortes violences. A contre courant du flux de l'actualité, Ghettup a décidé de parler de Nanterre quand tout va bien avec douze jeunes des Pablos Picasso.  Témoignages 

J’ai grandi ici, j’ai mes repères

Au cœur des tours nuages des Pablo Picasso, douze jeunes se sont retrouvés à discuter de leur quartier autour d’une grande salle au fond de l’espace jeunesse Picasso dans le quartier Parc. Tout au long des témoignages, les jeunes ne tarissent pas d'éloge sur leur quartier et parlent de la solidarité qui s'y prête. Ce sentiment s’exprime à travers les gestes du quotidien comme en témoigne Maysane, 15 ans : “Nous sommes toujours à s'entraider par exemple si quelqu'un a besoin d'être aidé pour des courses il y aura toujours quelqu'un qui peut les lui porter.” Une scène qui sonne comme un leitmotiv dans les quartiers populaires où l'entraide est parfois un moyen d’assurance pour les habitants créant alors un sentiment de “famille".

Ce sentiment d’appartenance se qualifie aussi dans l’activisme intra quartier par et pour les habitants et tout particulièrement les plus jeunes. Les anciens habitants des Pablos, surnommés “les grands du quartier” par les plus jeunes, organisent et créent des événements qui renforcent les liens de solidarité et permettent de pallier la carence des activités extra scolaires pour la jeunesse issus des quartiers. C’est ce que nous confie Kelian, 16 ans. “J’ai grandi ici, j’ai mes repères. Les grands du quartier organisent des projets comme Nicolas Sene pour les voyages humanitaires ou Assane Tian qui ramène des célébrités comme des rappeurs. Ils font des concerts à la fin des tournois de foot chaque été.”

Dans cette optique d'attachement et de solidarité, la cité des Pablos est réputée par ses habitants pour sa dimension de “ville autosuffisante” en créant des activités associatives et une proximité affective au-delà de celle géographique. Le sociologue Serges Paugam emploie la notion de ressources de proximité. Des ressources positives créees dans les quartiers qui reposent sur une “protection face aux aléas de la vie”. Dans des cas de crises ou de manquement pour le sociologue, “il est logique de se tourner vers les plus proches. Le quartier peut offrir en cela une garantie, l'individu sait dans ce cas qu'il peut compter sur les personnes à proximité de chez lui.” A noter que ces ressources de proximité sont des moyens mis en œuvre par les habitants eux-mêmes contre leur gré pour éviter un cumul de difficultés auxquelles ils font déjà face.


Le constat précoce d’une vie inégalitaire par les jeunes.

Malgré l'aspect positif qu’implique de grandir dans un quartier comme les relations, le sentiment d'appartenir à un groupe mais aussi la solidarité, les jeunes nanterriens nous confient les difficultés liées à leur condition de vie. Un constat précoce puisqu'à cet âge les priorités sont à l’équilibre scolaire, personnel et familial. Un bien être qui semble être altéré par le cadre dans lequel ils grandissent. Les témoignages montrent que ces très jeunes se rendent compte de l’environnement défavorié et dévalorisé dans lequel ils vivent et qui révèlent aussi la problématique du mal logement omniprésent dans les quartiers populaires. C’est le cas d’Ayman, 13 ans, qui aspire à avoir plus d’espace dans son logement. Il raconte l’attribution et la répartition des lits avec ses parents. “J’aimerai rajouter des chambres dans des maisons parce qu'il n'y en a pas assez. Nous sommes quatre. Mon frère et moi dans une chambre et mon frère et ma sœur dorment dans la chambre avec ma mère.”. Mêmes difficultés confiées par Anys, 12 ans, qui souhaite ajouter lui aussi “des chambres un peu plus grandes”. 

“Pour mon quartier j’ai espoir qu'il soit rénové.”

Grandir dans la cité des Pablo Picasso c’est pour Alassane, 16 ans “l'espoir d'avoir une meilleure hygiène dans le quartier et améliorer nos conditions de vie”. Il explique vivre dans des “bâtiments sales, remplis de choses insalubres” et que les “routes sont déformées.” Pour permettre à ce jeune une meilleure image de son quartier “ il faudrait de l'argent, des espaces et des personnes volontaires pour les travaux.” propose-t-il. Un constat qui fait écho aux dénonciateurs associatifs qui réclament pour Nanterre et plus largement pour les quartiers populaires laissés à l'abandon, des moyens supplémentaires et une valorisation de la cité. En plus du constat alarmant qu’Alassane fait de son cadre de vie, son ami, Yassine, âgé de 16 ans lui aussi, nous livre ses espoirs pour de meilleures structures allouées aux activités culturelles . “Pour mon quartier j’ai espoir qu'il soit rénové. J'aimerais améliorer les terrains de foot qui sont défectueux et mettre plus de poubelles car il y a beaucoup de déchets. Tout ça sans que l'on touche à la structure des tours nuages car c'est grâce aux tours que le quartier Pablo Picasso est reconnaissable.”

“Quand il y a la police, ils mettent tout le monde dans le même sac et te plaquent par terre même si tu n'as rien fait.”

Les jeunes mineurs issus des Pablo reconnaissent aussi la violence policière à laquelle ils sont exposés au sein du quartier. Tous ont abordé les contrôles abusifs et les violences policières auxquels ils sont soumis individuellement, et ce majoritairement pour les garçons même si la peur est aussi partagée par les filles. Ces scènes sont pour certains une motivation de quitter leur quartier malgré l'attachement comme l’explique Mohammed 15 ans. “Non je n'aimerais pas déménager de ma cité Pablo Picasso car j’y suis depuis tout petit et tout le monde se connaît c’est cool. Par contre j’aimerai déménager de mon bâtiment car quand il y a la police, ils mettent tout le monde dans le même sac et te plaquent par terre même si tu n'as rien fait.” Conscients de la mauvaise réputation de leur quartier liée à la délinquance, ils savent que rester dans le quartier les attachent à subir ce que les autres jeunes ne subissent pas :“Si tu te défends, ils te baffent. Même si tu es innocent tu prends.” explique le jeune nanterrien.


On observe à la fois un attachement et une affection pour un quartier à qui ils trouvent beaucoup de qualité mais qu’ils ont, aussi, déjà conscience tôt des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Après cette parenthèse poétique ils savent qu'au moindre fait divers, ils subiront une séquence médiatique discriminante qui viendra renforcer les clichés comme les jeunes nous l’ont souligné lors des échanges.  


Kamélia OUAÏSSA

 
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