LES PARENTS DANS LES QUARTIERS POPULAIRES SONT-ILS DEMISSIONNAIRES?

D’après une étude menée par l'Unicef, les enfants vivant dans les quartiers populaires se sentent plus valorisés par leurs parents que ceux vivant en centre ville. Un chiffre qui peut étonner au regard des discours politiques qui remettent en cause l’action éducative des parents vivants dans ces quartiers et les accusent de faillir à leurs fonctions parentales. Parents démissionnaires ou simplement dépassés? Comment expliquer le gap entre l’avis politique quant à la parentalité dans les quartiers et leur réelle implication? Enquête

Affaire Nahel : ou le traitement médiatique et politique des quartiers.

A travers la sphère médiatique, la représentation des parents de quartiers est souvent liée à celle des parents venus en France pour profiter des systèmes sociaux ou de santé français. Une annonce qui vient renforcer l’imaginaire collectif qui s’est constitué autour des quartiers populaires et dont s’insurge Lisa, responsable de l’association Izart Attitude. Une association créée par les mamans du quartier des Izards à Toulouse depuis 2013. “Les gens ne sont pas contents de vivre dans l'illégalité, de gagner des RSA. Il faut casser ce mythe.” souffle-t-elle. 

“ On est 24/24 à côté de nos enfants parce qu'on veut qu’ils aient les mêmes chances que les autres. “

Le 26 octobre dernier, l’ex première ministre Elisabeth Borne, dans un discours à propos des violences urbaines qui ont suivi la mort du jeune Nahel tué par un policier, présente les mesures qui seront mises en place par le gouvernement notamment au sujet de la parentalité. Elle y explique vouloir responsabiliser les parents "Nous proposerons au Parlement que des stages de responsabilité parentale ou des peines de travaux d'intérêt général puissent être prononcées à l'encontre des parents qui se soustraient à leurs devoirs éducatifs". Un discours qui sonne comme une violence pour Houria, habitante du quartier de Lalande à Toulouse et mère de 5 enfants. “En tant que mère, je suis dégoûtée d'entendre ces propos et je refuse de les entendre. Quand j'entends ça, ça me désole. Mais quelle maman ne veut pas le bien de son enfant la montrez-nous!” s'exclame-t-elle. “On est 24/24 à côté de nos enfants parce qu'on veut qu’ils aient les mêmes chances que les autres.” 

La France s’inscrit, à cette période, dans un contexte de tension. Ce dernier met en lumière, pour certains et certaines, le dysfonctionnement du système politique et judiciaire sur les affaires de violences policières. Pour Karim Bettayeb, professeur des écoles à Saint Denis et enseignant spécialisé, lorsque l’ex première ministre fait référence aux émeutiers et évoque le “devoir éducatif” sans aborder la mort du jeune Nahel, cela pose problème. “C’est un moyen de ne pas prendre en compte la responsabilité de l'État. A mon sens ce n'est pas justifié et ça l’est encore moins parce que ce qu'il y a d'intéressant c'est que le fond du problème n'est jamais souligné. On dit qu’ils ont cassé telle chose, qu’ils ont pillé telle chose… Jamais la raison de pourquoi ça s'est passé est abordée en l'occurrence le meurtre de Nahel. Mais c'est des années et des années de mépris et les jeunes en ont bien conscience de ce mépris de classe.” déplore t-il. La fondatrice de Isart Attitude appelle à “la réflexion des responsabilités de l'État et de l’éducation nationale”. Un manque de moyens et de structure qui handicap les jeunes des quartiers et qui pousse selon Lisa à côtoyer le cadre illégal. Pour elle la faute est à “l’abandon financier, sanitaire et social des quartiers par l'État.

Les parents engagés se heurtent à des difficultés et du mépris. 

Tous les parents s'accordent à dire qu’il existe des parents démissionnaires mais même les plus engagés se heurtent à des difficultés. Certains parents se trouvent eux aussi dépassés par les nouvelles mesures éducatives pouvant parfois les décourager en vue du cumul de responsabilités et de devoirs auxquels ils doivent faire face. C’est le cas de la voisine de Fatima Hammou et habitante de Montmagny, elle raconte le manque d’aide accordé aux parents sur la digitalisation des suivis scolaires. “A l'école, le système a été numérisé. C'est-à-dire qu'il n'y a plus de carnet d'agenda tout est sur le site. Ça pose un problème pour ceux qui ne savent pas parler ou lire le français ou encore utiliser des plates-formes numériques..” explique la mère au foyer. Maman d'élève, elle essaye de venir en aide à celles et ceux qui se sentent excédés par ce nouveau système mais seule, la charge devient trop grande. “Des formations devraient être données au début de l'année ou expliquer aux parents comment faire, comment activer et utiliser les plates-formes”. Les parents se mobilisent même au travers du tissu associatif dans leur quartier en y accordant du temps et des moyens bien qu’ils font, parfois, face aux mêmes difficultés.

“Ce sont ces mêmes femmes qui font en sortent d’aider à faciliter les autres parents sur le suivis scolaires, l'accès aux devoirs…”

C’est le cas de parents que rencontre l'enseignant de Saint-Denis. “Il y a des mamans célibataires qui partent à 5h du matin faire du ménage et qui sont dans des foyers monoparentaux. Elles rentrent entre 14 heures et 16 heures pour faire du ménage parfois dans les grandes instances de l'État et enchaînent les bus les métros. Les conditions dans lesquelles ces personnes vivent et travaillent sont à prendre en compte. Ce sont ces mêmes femmes qui font en sortent d’aider à faciliter les autres parents sur le suivis scolaires, l'accès aux devoirs…” insiste-il 


Cependant parents et associatifs témoignent du mépris auquel ils se heurtent. Certaines mamans témoignent des ces difficultés qui ont parfois mené à des abandons voir même des dépressions. C’est ce que Sarah*, mère de 3 enfants, raconte à propos de son arrivée en France “Je suis diplômée au Maroc, quand je suis en France pour eux je ne suis rien.” D’autres encore parlent d’insultes courantes qu’elles reçoivent dans les établissement scolaire de leurs enfants “Mauvaise mère. Incapable”. De violents témoignages que Karim et Lisa récoltent régulièrement de la part de parents. “Les professionnels sont constamment dans une vision de mépriser les habitants, les parents. Pourtant les parents sont plus au courant des besoins de leurs enfants.” affirme la fondatrice de Izards attitude. Des professeurs qui doivent eux aussi assumer un rôle supplémentaire : celui de thérapeute. Être une oreille attentive peut parfois s'avérer difficile quant aux témoignages qu’ils reçoivent comme l’explique Karim Bettayeb “J'ai entendu des parents dire qu’il aimerait bien que leurs fils gagnent mieux qu’eux. Vous voulez répondre quoi à ces parents qui font le maximum nuit et jour.”

Les parents sont les piliers des quartiers

L’investissement des parents, bien que sous-évalué, est en réalité crucial et représente un véritable pilier dans les quartiers. Leur mobilisation se fait à plusieurs échelles dans des quartiers où les difficultés ne se font pas rares comme en témoigne Youssef Hammou, chauffeur de taxi et citoyen engagé dans son quartier. « On vit dans un quartier où il y a beaucoup de complications. Tous les 2⁄3 mois on a organisé une marche de quartier. Le maire vient avec ses adjoints. De notre côté on marche avec lui, on explique ce qu’il ne va pas ». En plus d’être le porte parole de leur communauté mais aussi de leurs enfants, les parents n’hésitent pas à être polyvalent et à se mobiliser face aux complications qu’ils rencontrent « parfois on fait même le facteur on garde les colis, j’ai aussi participé au fait de subordonner à ce que devraient faire les services publics » confit-il.

“ Parfois on fait même le facteur on garde les colis, j’ai aussi participé au fait de subordonner à ce que devraient faire les services publics.”

Même pour Karim Bettayeb professeur à Saint-Denis, se souvient de la mobilisation des parents durant le covid qui témoigne d’un engagement parfois trop lourd et dont les enfants en pâtissent. “Je travaille en quartier populaire depuis au moins 10 ans et j’y suis né. Les parents sont derrière leurs enfants et parfois même trop c'est-à-dire qu’ils subissent parfois une grosse pression sur la réussite scolaire! Il en va de décharger les parents de la pression éducatives qu’ils transmettent parfois même excessivement à leur enfants ”. Un témoignage qui fait écho aux rapports publiés par l'Unicef en juin 2016 selon lesquels près de 60% des jeunes issus de quartiers prioritaires ont peur de ne pas réussir à l'école contre environ 40% pour ceux vivant en centre-ville.”


En 2020, lors du confinement, la gestion de plusieurs enfants s’est parfois révélée compliquée pour les parents dans les quartiers en y ajoutant l'école à distance. Karim se souvient de la mobilisation des parents durant le covid. “Durant la période du covid il y a eu une fracture numérique, il y a beaucoup d'enfants qui n'avaient pas accès à un ordinateur ou qui avaient le téléphone de la maman pour cinq enfants. Une maman d'élève et habitante du quartier imprimait les devoirs que j'envoyais et les déposait à la pharmacie du quartier. Les élèves venaient chercher à la pharmacie leur enveloppe et ce chaque semaine. Tout ça pour dire que les parents sont investis dans l'éducation de leurs enfants, ils veulent que  leurs enfants réussissent et ils mettent énormément d'espoir dans la réussite de leurs enfants.” nous raconte le professeur. En rappelant la mobilisation active des parents du quartier durant cette période, Karim Bettayeb montre que l'éducation des enfants est assurée par leur parents dans les périodes les plus complexes, les poussant ainsi à endosser le rôle de partenaire du corps enseignant.  


Finalement, en dépit du mépris et de la remise en question de leur rôle, les parents dans les quartiers n’oublient pas le bien-être et le confort de leurs enfants. Face aux difficultés et aux inégalités, ils n'hésitent pas à se mobiliser et à être présent pour leurs enfants mais aussi ceux des autres. 

Kamélia OUAÏSSA


*prénom anonyme 

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