La Banlieue influence Paname, Paname influence la Mode.

Impossible d’arpenter l’avenue des Champs-Elysées sans y penser “la banlieue influence Paname, Paname influence le monde…”, le rappeur Médine l’avait prédit, désormais : “C’est nous le grand Paris”. Si la mode séduit un bon nombre d’habitants de quartiers populaires, ses habitants aussi séduisent le monde de la mode, et pourtant… À l’origine, ces mondes opposés n’étaient pas destinés à se rencontrer, certains y étaient même hostiles. Pourtant, aujourd’hui à l’occasion de la Fashion Week féminine printemps/été 2022, les défilés pullulent de tenues streetwear. La collaboration Gucci x Adidas 2022, Prada qui sort ses modèles de jogging hype… Comment expliquer la hype autour de nos références vestimentaires ? Comment analyser la relation quartiers populaires & mode ?

Je t’aime moi non plus

La mode qui fuyait une influence populaire s’est retrouvée à s’inspirer de cette même culture. Comment ne pas voir Prada, Gucci et Dior surfer sur la vibe des joggings et des casquettes, sans se souvenir de la guerre froide de Lacoste envers Ärsenik ? Initialement, Lacoste avait pour cible les tennismen, les golfeurs : des sports plus largement pratiqués par des milieux aisés. Coup dur pour la marque lorsqu’en 1998, la pochette du premier album d’Ärsenik Quelques gouttes suffisent… montre Lino et Calbo installés dans un canapé en cuir marron, un pull Lacoste sur le dos.

Hommage à Villiers-le-Bel où le croco fait figure d’emblème, Arsenik ne blague pas : polos, bérets, pulls… On ne fait pas les choses à moitié. Du côté de Lacoste : silence radio, pas très à l’aise à l’idée de voir leurs créations portées par des jeunes de quartiers populaires, ils refusent même la collaboration Ärsenik x Lacoste.

Lino chez Booska-p

« Le rap est basané qu’on le veuille ou non. Quand on parle du rap, il a toutes les caractéristiques du banlieusard : bronzé, baskets… On était des gros vendeurs mais c’était pas leur problème, parce que Lacoste, c’était une marque « de luxe ». Ils s’en sortaient très bien sans nous. C’est une mentalité stupide. »

« J’me promène dans les beaux quartiers avec le seum qui fait peur aux riches », PNL

En 1994, IAM dansait le MIA, “le regard froid et Stan Smith aux pieds”, quelques mois plus tard les ventes de la paire décollent dans toute la France. Même le cinéma est captivé : Vinz, Saïd et Hubert piétinent Chanteloup-les-Vignes en Stan Smith dans la haine sorti en 1995. Au même moment, les rappeurs dominent de plus en plus les charts. Les radios Skyrock et générations gagnent de l’audience.

« 1995 avait tout d’une année charnière : alors que NTM, Assassin ou Akhenaton sortaient leurs projets les plus aboutis, une génération pleine de talents émergeait en collectifs pléthoriques. », Jean-François Richet chez l’ABCDR du son

Le rap importé des États-Unis a maintenant toute sa place dans l’hexagone. l’impact culturel est énorme, l’esthétique des quartiers populaires ne peut pas être ignorée, notre jeunesse ne peut pas être ignorée.

La fashion week est à nous

Enfin reconnue et respectée, la culture populaire commence à ne faire plus qu’un avec le monde du luxe. les grandes maisons commencent à s’intéresser aux artistes populaires. 20 ans après avoir ignoré Ärsenik, Lacoste signera sa collaboration avec Moha la squale en 2018. Coup de théâtre en 2018 avec la nomination de Virgil Abloh, un designer noir américain, en tant que directeur artistique chez Louis Vuitton. Virgil Abloh séduit tout le monde et parvient même à faire tomber les à priori et les réticences des autres marques à adopter le streetwear. La recrue chouchou de Louis Vuitton ouvre la voie à de nouvelles collections qui reflètent l’association du street et du luxe en habillant des personnalités issues de cultures populaires : Kanye West, PNL, Rihanna…

« J’ai grandi avec le sentiment que le design n’était pas pour moi, car je ne voyais personne comme moi dans le design. »

« Une chose que je pense que le marché du luxe doit comprendre, c’est que la culture a changé. Je ne sais pas s’il existe un moyen de le souligner davantage. Cela devrait être écrit en gras – que le luxe selon les normes d’un jeune de 17 ans est complètement différent de celui de ses parents. Sa version du luxe est le streetwear. », Virgil Abloh

Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt… Les maisons de mode qui ont ignoré les milieux populaires pendant des années usent aujourd’hui de ses personnalités et styles pour les mettre à la tête de leurs collections. Et ça, ça soulève quand même quelques questions. 

« Un style qui mène à des généralités et des stéréotypes vient forcément de sa communauté d’origine, mais lorsqu’il est repris par la haute-couture, les créateurs, les privilégiés, il devient tout de suite cool et branché. », Amandla Stenberg

Celle de l’appropriation culturelle

La fierté de voir deux, trois têtes d’affiche chez les grandes maisons, certes, mais le constat reste le même. les milieux populaires ne bénéficient pas de la richesse générée autour du sportswear pourtant inspiré de chez eux. Trouver du travail dans le monde de la mode ne devient pas pour autant plus facile.

Celle de la marge de progression encore bien visible

Le monde de la mode demeure faussement inclusif. Il est encore difficile de voir représentés des profils non blancs, des personnes grosses, handicapées ou des femmes qui portent le voile.

Celle des rapports nord/sud déséquilibrés

La plupart de nos vêtements sont produits par des usines implantées dans des pays du sud. travail forcé, employés sous-payés, enfants et femmes exploités, sans oublier le désastre pour la planète : la fast fashion est une vraie catastrophe socio-environnementale.

Même si les grandes maisons s’essayent à l’inclusion, les férus de mode issus de quartiers populaires n’hésitent plus à intégrer ce monde à l’origine si peu inclusif. Et si la mode de demain était “une mode par tous et pour tous” ? C’est ce à quoi s’essayent l’école Casa 93 avec Nadine Gonzales mais aussi les designers Youssouf Fofana, Cheyma, Farah Ack et bien d’autres. Casser les portes, bousculer les habitudes et revaloriser les cultures populaires, ce sont les maîtres-mots pour ces designers made in bendo qui révolutionnent le monde de la mode.

 
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