PAUL ET BAKARY: L'ENTREPRENEURIAT AU SERVICE DES CULTURES ET QUARTIERS POPULAIRES

Bakary Sakho et Paul Odonnat sont deux entrepreneurs et figures emblématiques du 19ème arrondissement de Paris. Connus par certains pour les “All Parisian Games” un événement phare visant à “fédérer la jeunesse et promouvoir le sport féminin” ou pour les nombreux succès de la maison d'édition “Faces Cachées”, ils ont de nombreux combats. Bakary et Paul ont accueilli Ghett’up chez eux au Studio 99. Pour nous, ils reviennent sur vingt ans d’engagement au service de l'émancipation des jeunes et sur leur vision de l'entrepreneuriat à fort impact social. Une perspective particulièrement d’actualité au lendemain des élections législatives. Interview. 


20 ans d’engagement c’est fou. Pouvez-vous revenir sur vos débuts et la genèse de votre engagement? 

Bakary - Nous on est héritiers d’une génération de militants des années 80 engagés contre le racisme. C’était un temps différent. Au début des années 2000 on nous parlait de sida et d'identité. A l’époque notre référence c’est le film “Les princes de la ville”. Avec Paul et des amis on s’identifie à la “BGA” (“Black Guerrilla Army “ un groupe de protagonistes du film) et on se renomme Braves Garçons d'Afrique (BGA). On militait contre le racisme. C’était une époque avec des avancées sur la question de l’identité. En 2001, c’est la loi Taubira qui reconnait la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité, c’est l’émergence de Thuram. Et puis vient 2005, l’époque des révoltes urbaines: c’était le tournant de notre engagement. On se remet en question et on décide d’agir différemment: concrètement et politiquement. 



Quelles ont été vos premières actions structurées? 

Bakary - Sans vraiment comprendre à l’époque à quel point la culture des quartiers populaires allait devenir centrale dans notre mode d’action, on se lance en 2012 dans un ciné club autour du basket dans le 19eme. Le cinéma arrive très vite aussi. Avec Sadia Diawara on contribue à lancer Diversifilms qui co-produira le film “La cité rose” en 2012.   


Paul - Mais notre premier bastion c’est les All Parisian Games. En 2013, c'est la première édition. On décide dès le début d’ouvrir ce tournoi à des équipes féminines, à l’époque le sport féminin est résiduel. Dès la première édition le gymnase Jean Jaurès est rempli, 500 à 600 participantes et participants par jour. Aujourd’hui, c’est le rendez-vous incontournable des amateurs de Basket de Paris mais aussi des plus grandes stars du basket du monde.



Comment vous transitionnez vers l’entrepreneuriat? 

Bakary - On veut faire de l’associatif, mais on ne veut pas en faire simplement, être à la course à la subvention. Pour la pérennité, pour l’indépendance, on se rend vite compte qu’il va falloir penser à trouver un business model. Le projet suivant qui démarre en 2015 on le structure directement avec un modèle économique. Au moment où on décide d'écrire notre premier livre “Je suis”, on lance directement notre maison d’édition: Faces Cachées. C’est une fierté car 12 livres plus tard, on a créé une ouverture pour de nouveaux récits, en toute autonomie. La dernière étape de notre quête d’autonomie et de création de valeur pour nos communautés, c’est le lancement de Panagon. C’est une agence qui capitalise sur notre expérience All Parisian Games et s’est spécialisée dans la rénovation et la mise en valeur des espaces sportifs à travers la France et le monde. Notre segment c’est les cultures urbaines.



Ça veut dire quoi l’entrepreneuriat à fort impact social? Et avec le recul comment décririez vous votre impact? 

Bakary - En devenant entrepreneurs, on lance des gens, on crée des opportunités économiques. Par exemple, on lance des jeunes dans de grandes boîtes comme Sally, jeune femme noire et qui porte un voile chez Jordan. Tous les rendez-vous All Parisian, en plus de créer des opportunités économiques ou d’accès au sport, c’est aussi des moments de fierté, de joie, de communion. Quand Travis Scott vient à Jaurès, on n'offre pas que des paires, on offre du rêve. Sur la question des terrains rénovés et de Panagon, il y a aussi une symbolique forte pour les habitants en termes de fierté. Le terrain de Stalingrad, c'est un terrain sur lequel on a tous joué quand on était petit. Il était amené à disparaître mais nous on se dit que c’est pas seulement un terrain de basket c’est un patrimoine culturel dans le 19eme arrondissement. Pour nous, le projet va au-delà de rénover un terrain pour les jeunes du quartier. Il y a un storytelling et une conceptualisation. On met un point d’honneur à la valorisation des jeunes du quartier et la valorisation de l’environnement. Par exemple, à Curial, on met en avant les filles. Le terrain est rénové avec une fresque murale où figure le visage de pleins de filles.

@docteurrayan_

Paul - On a ouvert la voie à une véritable politique publique. Le fait d’avoir sauvé le playground de Stalingrad en 2019 et notre méthode, ont permis de créer le plan INFRA. Parce que quand Nike nous suit financièrement, on montre que c’est possible et c’est un succès auprès des habitants. Depuis c’est 68 terrains qui ont été rénovés dans le cadre du plan INFRA. Ensuite on a été directeurs artistiques et consultants pour la fédération de basket notamment sur le projet Playground Paris. On est les premiers à avoir industrialisé le processus de rénovation des terrains et les premiers à le faire avec un ADN fort: celle de l’humain et celle du design. On ouvre aussi la voie en disant: regardez on sait faire des choses carrées. 



Quels sont les ingrédients d’un projet qui tient dans le temps?

Paul - Ne pas faire ça pour les caméras. Si ton objectif c’est de faire du personal branding, si tu fais un projet autour de ta personne, faut laisser tomber. Nous on fait des projets qui ont du sens et qui dépassent notre personne. Si on parle de “Face Cachée” qui est notre maison d'édition, pour moi tu n’as pas besoin de savoir qui sont les fondateurs. Le but c’est uniquement de savoir qu’il y a une maison d'édition, qui raconte des histoires qui nous ressemblent ou des histoires auxquelles on peut s’identifier. 

Bakary - Il y a aussi la question du diagnostic. Tu entreprends parce que tu as identifié un besoin, une problématique. C’est ça l’entreprenariat. Le problème du social c’est que parfois on va en faire un fourre tout. Chacun pense qu’il est légitime mais ce n’est pas qu’une question de vouloir. C’est aussi de demander si on a l’écosystème, l'intelligence, l'équipe, la rigueur. Nous, on a essayé d’être les plus cohérents et sincères possible. On a aussi décidé de rester chez nous, dans le 19eme, là où connait le mieux, là où on sait faire. L’égo, ça tue les projets. 



Après 20 ans, quel regard posez-vous sur l'écosystème associatif ? 

Bakary - Je trouve qu’on a un écosystème mortel. Cependant, on est infectés par des comportements d’ingratitude et par les egos. Par exemple, on a pas encore réussi à syndicaliser notre mouvement et à accepter les chefs, avoir la discipline administrative. Plus généralement, on ne sait pas encore travailler ensemble. On est pas obligé de s’aimer. Par contre on a un combat commun et une cause commune. Il y a un intérêt qui est bien supérieur à nous tous qui fait qu’on doit tous travailler ensemble. Aujourd’hui plus que jamais. 



Quels sont vos projets pour la suite?

Bakary - Pour la suite, on veut continuer à travailler sur la culture. C'est la base de tout et même d’un projet politique selon moi. Moi, je pense que la violence s’arrête là où commence la culture. Par ailleurs, les habitants de quartiers populaires aujourd’hui sont moteurs de cette industrie mais sans y avoir de responsabilités. Pour la suite, on aimerait pouvoir aller plus loin et permettre aux jeunes de prendre leur place dans cette industrie.   

Paul - Depuis deux ans on est invités en école de commerce pour enseigner le management des cultures urbaines et on s’est dit, pourquoi pas créer un cursus de formation pour intégrer des postes à responsabilité dans l’industrie des cultures urbaines? 


Propos receuillis par Inès Seddiki et Kamélia Ouaissa.

Suivant
Suivant

EN MANIF AVEC LE COLLECTIF JEUNESSE POPULAIRE