NICOLAS SENE : LES ACTEURS ASSOCIATIFS QUI BOYCOTTENT LES MEDIAS
Associatifs, militants et habitants de quartiers, tous déplorent le traitement médiatique dont ont fait preuve les médias mainstream suite aux événements suivant la mort de Nahel. Nicolas Sene, coordinateur de l’espace jeunesse Pablo à Nanterre, acteur associatif et réalisateur, a pris la décision de ne plus prendre la parole sur ces médias. Il accueille Ghett’up dans son bureau au cœur de la cité des Pablo Picasso pour nous livrer ses raisons. Interview
“Ils viennent nous parler pourquoi? Parler des émeutes ou de Nahel.”
Après la mort de Nahel, âgé de 17 ans, tué par un policier le 27 juin 2023, plusieurs manifestations urbaines ont eu lieu dans les banlieues françaises en protestation. Des scènes de révoltes et de violences qui ont fait l'objet d’un traitement médiatique sensationnel. Quelques jours après cet événement tragique, Nicolas Sene décide de poster un message sur son compte Instagram accusant les médias de profiter de cette période pour surfer sur la polémique et donner une image négative des quartiers.
“Après les événements beaucoup de médias nous ont sollicité. Quand j’écris ce message c’est un réel ras-le-bol. Ils viennent nous parler pourquoi? Parler des émeutes ou de Nahel. Parce que le vrai sujet c’est ça.” explique l’auteur. Un message qui a été par la suite relayé par plusieurs associatifs qui s’accordent à ne plus répondre aux sollicitations des médias mainstream. À juste titre, Nicolas dénonce une “méconnaissance du terrain et des gens qui y habitent.” Selon lui, si les médias venaient plus souvent et en dehors des séquences de violence uniquement, il y aurait fondamentalement un meilleur traitement de la réalité des quartiers et plus de confiance en temps de crise. Bien qu’il soit très critique envers la machine médiatique, Nicolas Sene n’a pas de doute qu’individuellement il y a “des journalistes dont les intentions sont bonnes”.
Parler aux médias : le jeu n’en vaut pas la chandelle
Pour Nicolas, les médias ne sont plus d’utilité dans ce genre d'affaires. “C’est pas grâce aux médias que cette vidéo existe c’est grâce au peuple, et le peuple n’a pas forcément besoin des médias pour transmettre l’information.” Pour rappel des faits, c’est grâce à une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, où l’on voit un policier tirer sur le jeune Nahel, que les déclarations des policiers accusant la jeune victime ont été contestées. Lors des violences policières des vidéos sont souvent prises par des passants, amis ou voisins des victimes de ces violences, elles sont pour Nicolas des transmetteurs d’informations plus fiables que celles transmises par les médias.
“ Le peuple n’a pas forcément besoin des médias pour transmettre l’information. ”
Prendre la parole c’est aussi prendre un risque des désinformations et déformations de leur propos. Un jeu qui, selon lui, n’en vaut pas la chandelle. La présidente d’une association de quartier a vu ses propos être déformé lors d’une interview. “Elle m’a dit que j’ai raison de ne pas parler aux médias, parce qu’ils ont changé tout ce qu’elle avait dit.” C’est aussi une expérience personnelle négative qui renforce cette idée, racontant une rencontre quelques jours après les émeutes avec une journaliste de TF1 venue pour faire un reportage sur les émeutes. “Quand elle arrive, elle avait déjà en tête de faire un reportage précis. Elle sort tout de suite la caméra et veut filmer. Je lui demande sur quoi le reportage porte et surtout comment elle souhaite répondre à une question aussi puissante en si peu de temps. Le vrai problème c’est qu’il y a un jeune qui a été tué par un policier et elle veut seulement parler d’une histoire de mortier. Son excuse c'est que la police est démago. Craignant que ses propos ne soient déformés ou mal représentés s'il acceptait l'interview. Il déclare “Nous on parlera pas et elle nous répond : «Bah je vais devoir prendre une personne du quartier au hasard»”. Pour Nicolas, ces scènes renforcent les clichés des banlieues et la criminalisation des jeunes du quartier.
Les médias doivent trouver leur place aux côtés des quartiers
L’acteur associatif appelle les médias à reconsidérer leur approche éditoriale et à accorder plus d'importance aux récits et aux expériences des quartiers populaires. “C’est peut-être naïf de dire ça mais j’aimerai que les médias se disent « allez venez on change un peu notre ligne éditoriale »”.
“ C’est pas nous qui sommes perdants, en tout cas pas tout le temps. ”
Il est convaincu que les médias ont un rôle crucial à jouer dans la lutte contre les stéréotypes et la discrimination en donnant une représentation équilibrée et authentique des communautés marginalisées. “Il faut que les médias s’impliquent vraiment, pas seulement venir, filmer et repartir. Qu’il y ait un échange.” Il encourage la création de structures associatives et le développement de projets locaux, affirmant que chacun possède des compétences qui peuvent contribuer au progrès, à une représentation plus juste des quartiers et de ses habitants : “Je pense qu’il y a des médias qui sont capables de monter des choses, qui pourraient venir à côté de nous dans ce petit combat, des gens qui sont capables de monter des structures associatives et de les faire vivre.”
“En vrai c’est pas nous qui sommes perdants, en tout cas pas tout le temps.” affirme Nicolas pour qui s’absenter des plateaux est un signal fort en direction des médias qui perdent alors beaucoup de contenus. Mais il reconnaît l’importance de maintenir une parole médiatique ciblée et bien travaillée de la part d’acteurs associatifs formés.
“ Il faut envoyer les bonnes personnes, qui sont formées et qui envoient une image juste et irréprochable dans le discours. ”
Pour Nicolas, la prise de parole sur les médias mainstream doit se faire judicieusement. “Tout dépend de qui y va car parfois ça ne nous rend pas service. Il faut envoyer les bonnes personnes, qui sont formées et qui envoient une image juste et irréprochable dans le discours.”. Ainsi, ceux qui ont une légitimité mais aussi et surtout une connaissance du jeu médiatique doivent être envoyés au front. Seulement, Nicolas rappelle que même si les efforts sont fournis du côté des représentants de quartiers “C’est aussi les médias qui ne veulent pas inviter les bonnes personnes. C’est une question d’intention.”.
Nicolas Sene étant lui-même auteur d’une production cinématographique, insiste sur le rôle du cinéma qui vient figer un imaginaire et une narration des quartiers contre laquelle il souhaite lutter. Par le biais de la production artistique, il souhaite donner une voix aux jeunes et mettre en valeur leurs talents et leurs perspectives. "Je suis dans une lutte perpétuelle pour raconter justement les quartiers et rendre visible ses récits alternatifs. À travers un film qui raconte les quartiers on a pas la possibilité d’être financer et ça c’est pas logique.” déplore-t-il. En effet Nicolas Sene cherche à produire un film sur sa cité depuis 2017, en vain.
La méfiance des associatifs, militants et habitants dans les quartiers est le résultat d’une approche médiatique négligée renforcée ces dernières années. Nicolas souhaiterait organiser une rencontre avec Rachida Dati, nouvelle ministre de la culture. Une rencontre qui permettrait, selon lui, d’échanger sur les initiatives culturelles des jeunes des quartiers populaires.
Kamélia OUAÏSSA