“NOUS, C’EST LA VRAIE VIE”, LA NOUVELLE VAGUE DES CANDIDATS INDÉPENDANTS DANS LES QUARTIERS POPULAIRES

Par Mona Sarr

Ils sont de Marseille (13), Saint-Denis (93), Cergy (95) ou d’Avon (77) mais ont tous un point commun : ils sont candidats indépendants aux élections législatives et issus de quartiers populaires. Malgré l’alliance de la gauche et la création de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale), Sanaa, Amina, Bakary et Kevin pourtant acteurs de terrain depuis des années n’ont pas été investis. Trois d’entre eux ont choisi de maintenir leur candidature coûte que coûte mais entre difficultés financières, vie privée et présence sur le terrain, à quoi ressemble le quotidien d’un candidat indépendant ?

“Nous, c’est la vraie vie” : des actrices et acteurs de terrain

Premier dans beaucoup de départements de banlieue, des scores jamais vus dans les quartiers populaires à la présidentielle, on a attribué à Jean-Luc Mélenchon, candidat LFI à la présidentielle 2022, le statut de “candidat chouchou” des classes populaires. Pourtant, même si beaucoup s’étaient alignés à voter pour lui en avril dernier, il n’en est pas de même pour les législatives. Depuis la NUPES, certains candidats ne font pas l’unanimité dans les quartiers populaires. Jugés “Illégitimes” ou “hors-sol” selon certains habitants qui ne rechigneront pas à voter ce dimanche pour un profil plus local. 

Quand Sanaa Saïtouli se balade à Cergy-le-Haut non loin du quartier de La Croix Petit qui l’a vue grandir, son ancrage territorial ne fait aucun doute. Les Klaxons, les pouces en l’air, les “Eh, Sanaa, ça va ?” et les sourires, c’est évident, à Cergy, Sanaa est chez elle. Elle est face à Aurélien Taché, député sortant LREM investi par la NUPES. Si la Cergyssoise de 40 ans avait “vu les choses venir”, elle ne cache pas moins sa déception : “On [Cergy Demain] a fait le sale boulot en appelant à voter Mélenchon à la présidentielle et il ne m’a pas nommée. Nous on est légitimes depuis plus de vingt ans, on connaît le terrain, on y vit”.

“Quand on a vu l’alliance de la gauche, on savait déjà que ça allait être compliqué”

Même constat pour Kevin Vacher, militant pour l’éducation populaire à Marseille. Une enfance à Nice puis à Marseille, les quartiers Nord n’ont plus aucun secret pour lui. Militant au sein des collectifs 5 novembre et Nos vies Nos voix, ce sociologue de formation qui s’était concerté avec les habitants de la ville a préféré retirer sa candidature “au profit de la NUPES” : “Quand on a vu l’alliance de la gauche, on savait déjà que ça allait être compliqué”. Pour Kevin, ce n’est pas le pouvoir qui compte, avoir retiré sa candidature “ce n’est pas la fin du monde non plus”. En revanche, il met un point d’honneur aux valeurs que Manuel Bompard, le candidat NUPES devra incarner et a exigé trois conditions : respecter les propositions de lois citoyennes, faire en sorte que les mouvements citoyens aient leur place au Parlement et impliquer les habitants dans la conception des lois. 

À Saint-Denis, c’est un peu différemment que Bakary Soukouna, candidat de la deuxième circonscription de Saint-Denis avec le mouvement Seine-Saint-Denis au cœur appréhende ces élections : “Moi je ne voulais pas être investi par la NUPES. C’est nous, les quartiers populaires, qui leur servons la soupe à chaque fois. On a voulu à notre tour écrire une histoire qui nous soit commune pour les avantages du territoire”. 36 ans, une vie entière passée à Saint-Denis, dans le quartier de la Plaine puis à Allende, Bakary connaît bien son territoire, il est aussi président de l’association Nuage. Se retirer au profit de Stéphane Peu, le député investi par la NUPES ? Hors de question “J’ai ma place, je suis légitime et je vais montrer qu’on [les habitants de quartiers populaires] a la capacité d’être en politique”.

Argent, temps, équilibre à trouver… les difficultés d’être candidat indépendant 

Amina Bacar est candidate dans la troisième circonscription de la Seine-et-Marne. Pour cette ancienne maire adjointe, la NUPES a certes rassemblé les forces de gauche mais “pas toutes” en oubliant les représentants des quartiers populaires. Celle qui veut être “une députée utile” a déjà l’emploi du temps d’une ministre. Entre la journée de travail, le “temps de qualité” qu’elle souhaite passer avec ses trois enfants, son mari et le tractage, les journées sont chargées. Et même si elle peut compter sur le soutien de ses proches, l’investissement est à plein temps : “On court, on court, on court, on a tout à faire nous-même. Ce n’est pas sans difficulté”. Même combat pour Bakary, le conseiller municipal raconte qu’il prend des congés pour faire campagne, tracter, aller rencontrer les gens “contrairement aux autres candidats qui vivent de ça et qui sont déconnectés de la réalité”

“Maman veut changer le monde. Elle va y arriver”

Autre difficulté: le financement. Pour sa campagne, Sanaa a misé sur une des valeurs des quartiers populaires : la solidarité, des donations de la part de ses proches, leur accueil comme avec son dernier meeting populaire sur un ring de boxe. Un nouveau lieu à Puiseux-Pontoise ouvert par “ un grand du quartier”. Mais elle évoque aussi d’autres difficultés, celles pour lesquelles il est moins facile de relativiser : des “coups bas”, des “rumeurs” lancées dans la ville, une réputation de tricheuse… Et surtout un bébé de 8 mois qu’elle allaite encore. Le porte à porte, les réunions d’appartements, aller chercher ses deux filles à l’école, tout cela, c’est “beaucoup d’organisation”. Mais quand on interroge ses enfants : est-ce que ça vaut le coup tout cela ? “Oui, maman veut changer le monde. Elle va y arriver”. 

Dans le sud à Marseille, le côté financier était “un enjeu mais pas une grande difficulté” pour Kevin. Le RSA comme seule source de revenu, le militant pour le droit au logement ne pouvait assurer sa campagne à lui seul. Comme solution, il a trouvé la levée de fonds, 10 000€ récoltés, les réseaux de voisinages pour les locaux de réunion en insistant bien auprès des habitants qu’il côtoie : “la campagne, c’est d’abord la vôtre”. Pour lui, le plus important a été le soutien moral de sa base: “J’avais besoin de la validation de mes amis, des familles avec qui je me bats au sein du collectif 5 novembre, (…)  Je leur disais ‘’mais… ce n’est pas délirant ce que je vous dis là, me présenter aux élections législatives ?’’”

Des candidats animés par la volonté de défendre les intérêts des quartiers populaires

“La société idéale fait de la place aux gens et prend soin de ceux qui sont déjà là”

Amina et Bakary croient en la force de l’échelle nationale. Là où il est parfois difficile d’agir lorsque l’on est élu municipal, la portée nationale a plus de poids dans les enjeux importants des quartiers populaires : la santé, l’éducation, le handicap, le logement, l’écologie et les rixes. L’importance d’une portée nationale pour “fédérer”, “connecter” parce que finalement la société idéale “fait de la place aux gens et prend soin de ceux qui sont déjà là” affirme Bakary. 

Sanaa Saïtouli à Cergy-le-Haut (photo : Mona Sarr)

Après avoir collé son affiche devant l’objectif de son caméraman, Sanaa scande avec passion “il faut des positions claires pour les quartiers !”, rendre des comptes aux habitants, les recentrer et créer une intelligence collective, c’est ce qui anime la candidate du mouvement Cergy Demain qui veut voir ses citoyens vivre dignement “de leur naissance jusqu’à leur mort”. Et pour cela, elle n’hésite pas à reprendre les mesures phares de Jean-Luc Mélenchon (LFI) : SMIC à 1400€ et la retraite à 60 ans notamment.

Pour Kevin, c’est une évidence “ça devrait être naturel que des précaires entrent à l’Assemblée nationale”. Bien qu’il ait retiré sa candidature, le marseillais s’autorise à espérer une vie meilleure pour les quartiers populaires du territoire. Des mesures jugées “vitales” pour protéger la vie de chacun, contre les violences policières, la criminalité organisée, contre les violences sexistes et sexuelles. Et tout cela, Kevin en est sûr, “c’est à nous, habitants des quartiers populaires, de le faire”. 

LA BANLIEUE INFLUENCE PANAME, PANAME INFLUENCE LA MODE

Impossible d’arpenter l’avenue des Champs-Elysées sans y penser “la banlieue influence Paname, Paname influence le monde…”, le rappeur Médine l’avait prédit, désormais : “C’est nous le grand Paris”. Si la mode séduit un bon nombre d’habitants de quartiers populaires, ses habitants aussi séduisent le monde de la mode, et pourtant… À l’origine, ces mondes opposés n’étaient pas destinés à se rencontrer, certains y étaient même hostiles. Pourtant, aujourd’hui à l’occasion de la Fashion Week féminine printemps/été 2022, les défilés pullulent de tenues streetwear. La collaboration Gucci x Adidas 2022, Prada qui sort ses modèles de jogging hype… Comment expliquer la hype autour de nos références vestimentaires ? Comment analyser la relation quartiers populaires & mode ?

Je t’aime moi non plus

La mode qui fuyait une influence populaire s’est retrouvée à s’inspirer de cette même culture. Comment ne pas voir Prada, Gucci et Dior surfer sur la vibe des joggings et des casquettes, sans se souvenir de la guerre froide de Lacoste envers Ärsenik ? Initialement, Lacoste avait pour cible les tennismen, les golfeurs : des sports plus largement pratiqués par des milieux aisés. Coup dur pour la marque lorsqu’en 1998, la pochette du premier album d’Ärsenik Quelques gouttes suffisent… montre Lino et Calbo installés dans un canapé en cuir marron, un pull Lacoste sur le dos.

Hommage à Villiers-le-Bel où le croco fait figure d’emblème, Arsenik ne blague pas : polos, bérets, pulls… On ne fait pas les choses à moitié. Du côté de Lacoste : silence radio, pas très à l’aise à l’idée de voir leurs créations portées par des jeunes de quartiers populaires, ils refusent même la collaboration Ärsenik x Lacoste.

Lino n'a pas fini de parler : il nous raconte sa passion pour Lacoste

« Le rap est basané qu’on le veuille ou non. Quand on parle du rap, il a toutes les caractéristiques du banlieusard : bronzé, baskets… On était des gros vendeurs mais c’était pas leur problème, parce que Lacoste, c’était une marque « de luxe ». Ils s’en sortaient très bien sans nous. C’est une mentalité stupide. »

Lino chez Booska-p

« J’me promène dans les beaux quartiers avec le seum qui fait peur aux riches », PNL

En 1994, IAM dansait le MIA, “le regard froid et Stan Smith aux pieds”, quelques mois plus tard les ventes de la paire décollent dans toute la France. Même le cinéma est captivé : Vinz, Saïd et Hubert piétinent Chanteloup-les-Vignes en Stan Smith dans la haine sorti en 1995. Au même moment, les rappeurs dominent de plus en plus les charts. Les radios Skyrock et générations gagnent de l’audience.

« 1995 avait tout d’une année charnière : alors que NTM, Assassin ou Akhenaton sortaient leurs projets les plus aboutis, une génération pleine de talents émergeait en collectifs pléthoriques. »

Jean-François Richet chez l’ABCDR du son

Le rap importé des États-Unis a maintenant toute sa place dans l’hexagone. l’impact culturel est énorme, l’esthétique des quartiers populaires ne peut pas être ignorée, notre jeunesse ne peut pas être ignorée.

La fashion week est à nous

Enfin reconnue et respectée, la culture populaire commence à ne faire plus qu’un avec le monde du luxe. les grandes maisons commencent à s’intéresser aux artistes populaires. 20 ans après avoir ignoré Ärsenik, Lacoste signera sa collaboration avec Moha la squale en 2018. Coup de théâtre en 2018 avec la nomination de Virgil Abloh, un designer noir américain, en tant que directeur artistique chez Louis Vuitton. Virgil Abloh séduit tout le monde et parvient même à faire tomber les à priori et les réticences des autres marques à adopter le streetwear. La recrue chouchou de Louis Vuitton ouvre la voie à de nouvelles collections qui reflètent l’association du street et du luxe en habillant des personnalités issues de cultures populaires : Kanye West, PNL, Rihanna…

Disparition de Virgil Abloh - LVMH

« J’ai grandi avec le sentiment que le design n’était pas pour moi, car je ne voyais personne comme moi dans le design. »

« Une chose que je pense que le marché du luxe doit comprendre, c’est que la culture a changé. Je ne sais pas s’il existe un moyen de le souligner davantage. Cela devrait être écrit en gras – que le luxe selon les normes d’un jeune de 17 ans est complètement différent de celui de ses parents. Sa version du luxe est le streetwear. »

Virgil Abloh

Mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt… Les maisons de mode qui ont ignoré les milieux populaires pendant des années usent aujourd’hui de ses personnalités et styles pour les mettre à la tête de leurs collections. Et ça, ça soulève quand même quelques questions. 

« Un style qui mène à des généralités et des stéréotypes vient forcément de sa communauté d’origine, mais lorsqu’il est repris par la haute-couture, les créateurs, les privilégiés, il devient tout de suite cool et branché. »

Amandla Stenberg

Celle de l’appropriation culturelle

La fierté de voir deux, trois têtes d’affiche chez les grandes maisons, certes, mais le constat reste le même. les milieux populaires ne bénéficient pas de la richesse générée autour du sportswear pourtant inspiré de chez eux. Trouver du travail dans le monde de la mode ne devient pas pour autant plus facile.

Celle de la marge de progression encore bien visible

Le monde de la mode demeure faussement inclusif. Il est encore difficile de voir représentés des profils non blancs, des personnes grosses, handicapées ou des femmes qui portent le voile.

Celle des rapports nord/sud déséquilibrés

La plupart de nos vêtements sont produits par des usines implantées dans des pays du sud. travail forcé, employés sous-payés, enfants et femmes exploités, sans oublier le désastre pour la planète : la fast fashion est une vraie catastrophe socio-environnementale.

Même si les grandes maisons s’essayent à l’inclusion, les férus de mode issus de quartiers populaires n’hésitent plus à intégrer ce monde à l’origine si peu inclusif. Et si la mode de demain était “une mode par tous et pour tous” ? C’est ce à quoi s’essayent l’école Casa 93 avec Nadine Gonzales mais aussi les designers Youssouf Fofana, Cheyma, Farah Ack et bien d’autres. Casser les portes, bousculer les habitudes et revaloriser les cultures populaires, ce sont les maîtres-mots pour ces designers made in bendo qui révolutionnent le monde de la mode.

JOSÉPHINE BAKER PREMIÈRE FEMME NOIRE AU PANTHÉON

Sixième femme honorée et première femme noire, Joséphine Baker est intronisée au Panthéon ce mardi 30 novembre. Elle a marqué les années 1920 aussi appelées les Années folles en France par ses talents de chanteuse, danseuse et comédienne. Elle est en revanche moins connue en tant que résistante et militante.

Mais qui était réellement Joséphine Baker ?

Le destin extraordinaire de Joséphine Baker | Les Echos

Danseuse coûte que coûte

Née d’un père blanc et d’une mère noire dans le Missouri aux États-Unis en 1906, son enfance a été marquée par l’absence de son père et la ségrégation raciale. Pourtant, un rêve poursuit Joséphine depuis toute petite : quitter la rue de Saint-Louis où elle a appris à danser pour conquérir la grande avenue de Broadway à New-York. Dans les années 1920, beaucoup d’intellectuels et artistes Afro-américains se réfugiaient à Paris pour fuir la ségrégation. La capitale française incarnait la liberté de penser, de s’exprimer et d’exister. Joséphine Baker y pose ses valises en 1925, pleine d’espoir. Elle remplit les théâtres parisiens dès son premier jour. Séduite et comblée par Paris, elle se marie avec Jean Lion en 1937 et obtient la nationalité française.

Icône du music-hall et résistante

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Joséphine Baker soutient la force armée en chantant pour les soldats au front. Mais son naturel engagé et combatif la rattrape, elle s’engage en tant qu’agent du contre-espionnage français dès 1939 : elle cachera même des documents secrets dans ses partitions. La Résistante se verra attribuer la médaille de la Résistance française sept ans plus tard.

Joséphine Baker a deux amours : son pays et Paris. En 1955, elle dénonce le meurtre du jeune homme afro-américain Emmett Till en Europe mais alerte aussi sur le racisme en France. Seulement, ce n’est pas suffisant pour la Résistante qui vit de plus en plus mal de lutter loin de son pays natal.

I have a dream"

Elle retourne aux États-Unis en 1961 et assistera deux ans plus tard au discours mythique de Martin Luther King, “I have a dream”. Habituée de la scène, ce n’est pas cette foule immense qui l’impressionne ou l’intimide. Bien au contraire, cette star depuis maintenant 40 ans, vêtue de son uniforme de la France libre s’empare du micro et prononce ces mots : “C’est le plus beau jour de ma vie […] Vous êtes un peuple unifié, enfin”.

La revue nègre : une histoire pas aussi rose qu’on ne l’imagine

Josephine Baker incarne aussi une figure controversée, notamment par la communauté noire américaine qui voit en elle une star superficielle et égocentrique dont la contribution aux droits civiques est questionnable. Et pour cause, celle qui avait fui les États-Unis à cause du racisme a pourtant accepté d’incarner en France une conception de la femme noire qui peut être jugée raciste et coloniale. En effet, lorsqu’elle apparait sur les affiches du spectacle musical de la Revue Nègre en 1925, le public français se désole de cette prestation qui n’est “pas assez nègre”. Même si les salles sont remplies de curieux, la critique est acerbe.

Pour satisfaire les attentes, on lui demande alors de danser seins nus, ornée d’une ceinture de bananes. Avec réticence, Josephine cède et incarne le mythe de la sauvage. On retrouve dans cette nudité forcée une composante sexuelle mais également une volonté de domination. En effet, la France des années 20 et 30 est encore un empire colonial. C’est même le second plus puissant après l’empire britannique.

Pour rappel, en 1931 un zoo humain appelé « Exposition Coloniale » ouvre ses portes au bois de Vincennes. 8 millions de visiteurs se bousculent pour faire « le tour du monde en un jour ». Dans les cages, des individus des différentes colonies déguisés en sauvages sont censés représenter des habitants de pays africains ou asiatiques. Les mentalités de l’époque étaient extrêmement marquées par cet imaginaire colonial. C’est un long travail qui s’impose pour déconstruire ces schémas mentaux, même si cela prend des décennies voire des siècles.

 

 

« BANLIEUSARDE » IS THE NEW « PARISIENNE »

Inès de la Fressange savait-elle que le mythe de la « Parisienne » qu’elle avait créé perdurerait jusqu’aujourd’hui ? Savait-elle que, quarante ans plus tard, ce modèle exclurait un bon nombre de femmes de ce statut ? Dans l’imaginaire collectif du monde entier, ce cliché de la Parisienne séduit tant par son élégance, sa beauté, son corps élancé et mince que par sa peau blanche et sa fragilité.

Pourtant, aujourd’hui dans les rues de Paris, les femmes sont aussi noires, arabes, asiatiques, grosses, handicapées, lesbiennes, voilées, sportives de haut niveau. C’est ce que Rokhaya Diallo nous montre dans son documentaire « La Parisienne démystifiée » sorti début octobre 2021 sur France 3.

Qu’est ce qui pose problème avec le mythe de la parisienne ?

C’est nous, le Grand Paris !

« Pour moi, la parisienne, ce n’était pas du tout l’image de ma mère algérienne »

Et pourtant ! Pour beaucoup de femmes issues de banlieue ou de quartier populaire, ce mythe fait que Paris devient un idéal inaccessible. Sarah Ouarahmoune est d’origine algérienne et boxeuse professionnelle. Elle raconte que Paris, c’était « le beau monde, les belles sorties », mais loin de sa réalité d’Aulnay-sous-Bois dans le 93, là où elle a grandi. Boxeuse française la plus médaillée, elle ne rentrait pas dans le moule de la parisienne frêle et fragile, malgré ses 50kg. La boxe lui a pourtant permis de s’exprimer et de s’assumer malgré son « naturel pudique ».

« Le 13ème arrondissement, c’était mon Paris à moi »

Même constat pour Grace Ly, journaliste et autrice de podcasts. Enfant, elle constate que les personnages de ses livres préférés ne lui ressemblent pas. Grace n’est ni blanche ni riche, elle est issue de l’immigration chinoise et a grandi en banlieue : « Il faudrait construire une Parisienne qui serait… nous toutes ! ». Ce décalage, elle le ressent aussi plus tard quand elle se balade dans les rues de Paris. Alors que les villes des anciennes colonies sont encore imprégnées par la présence de la France, elle affirme « je ne retrouve pas cette histoire dans les rues de Paris ».

« Le féminisme qui prend de la place contraint clairement la vie de plusieurs femmes qui ne s’y retrouvent pas »

Anlya Mustapha, créatrice de contenu, apparait à l’écran aux côtés de Rokhaya, dans un café de Paris. Musulmane et d’origine comorienne, Anlya porte le voile. Après s’être assumée pleinement à Londres, son retour à Paris est plus compliqué.

Elle regrette qu’il y ait au sein du féminisme des clivages et des formes de domination de certaines femmes à l’encontre d’autres. Les questions identitaires n’appartiennent pas uniquement aux descendants de l’immigration, mais elles prennent plus de place si l’on prend en compte les doubles, voire triple cultures. Anlya rappelle que l’injonction du « tu n’es pas » renforce alors la question du « qui-suis-je vraiment ? ».

« Les Parisiennes auxquelles on ne s’attend pas »

L’historienne Emmanuelle Vitaillaud justifie la longévité du mythe de la Parisienne par le fait qu’il corresponde « à un fantasme masculin ». L’idéal d’une femme « sage » perd par ailleurs tout son sens lorsqu’on se penche sur l’histoire de la Révolution Française et que l’on constate que dès 1789, les femmes jouent un rôle crucial. C’est à ce moment-là qu’une image ambivalente des femmes parisiennes voit le jour.

La journaliste Lindsey Tramuta voit un intérêt politique et économique à faire « perdurer cette image non inclusive » de la Parisienne. Les mythes font vendre et attirent les touristes du monde entier qui rêvent de toucher cet idéal du doigt sur les terrasses des cafés comme dans les boutiques parisiennes les plus prisées.

L’histoire de Zyed, Bouna et de la révolte des banlieues

La mort de deux jeunes ou l’étincelle qui a mis le feu aux poudres

Le 27 octobre 2005, en pleine période de Ramadan, trois jeunes rentrent d’un match de foot, avec leurs amis. Sur leur chemin, ils tentent d’échapper à un contrôle de police qui, pour certaines populations, peut vite devenir un épisode humiliant et désagréable.

Zyed, Bouna et Muhittin se cachent alors derrière un transformateur EDF. Les deux premiers y perdent la vie, électrocutés, et le troisième en ressort gravement brûlé.

Plusieurs choses ont été reprochées aux forces de l’ordre. Premièrement, les contrôles abusifs : les adolescents ont été poursuivis par les policiers sans qu’aucune effraction de leur part n’ait été commise. Ensuite, leur manque de réactivité et le temps qu’il leur a fallu pour appeler les secours a grandement été décrié. L’un d’eux dira même au moment du drame : “S’ils entrent dans le site, je ne donne pas cher de leur peau”.

Deux policiers ont été poursuivis pour non-assistance à personne en danger mais ont été définitivement relaxés en 2015. Le tribunal a décidé que les deux policiers n’avaient pas connaissance d’un danger « certain et imminent ».

Chronologie des faits via The Funambulist

L’ampleur des révoltes 

Le soir même de la mort des deux jeunes hommes, les quartiers de Clichy-sous-Bois se sont fait entendre et des affrontements ont éclaté.

Mais c’est le lancé d’une grenade lacrymogène par les forces de l’ordre à l’entrée d’une mosquée le 30 octobre 2005 qui a déclenché des mouvements dans toute l’Ile-de-France, qui s’étendront très vite dans tout le pays.

Les mois précédents, des tensions étaient déjà présentes entre gouvernement et quartiers après que Nicolas Sarkozy a déclaré vouloir « nettoyer les cités au kärcher »; provoquant l’indignation. De tels propos n’ont fait qu’aggraver un sentiment de non-appartenance à la nation, que les populations concernées ressentaient depuis déjà bien longtemps.

Les révoltes de l’automne 2005 sont les plus importantes en France depuis Mai 68 et sans équivalent en Europe avant celles de 2011 en Angleterre. En quelques chiffres : 

  • 300 communes touchées
  • Des centaines de blessés
  • 6000 personnes interpellées
  • 200 à 250 millions d’euros de dégradations
  • 1 couvre-feu
  • 3 mois d’état d’urgence

Une occasion de dégrader le pays pour certains, un cri de douleur et un appel à l’aide pour d’autres ; ces événements sont d’une extrême importance dans l’histoire moderne de France.

L’après Automne 2005

De nombreuses questions ont été soulevées au lendemain des révoltes, notamment sur la place des banlieues et des quartiers populaires dans le paysage français.

Est née alors une volonté d’avoir des médias plus diversifiés et plus représentatifs des populations qui font notre pays. Dans toutes les sphères de la société, on aspirait au changement.

L’État de son côté a mis en place un plan de renouvellement urbain de 48 milliards d’euros dépensés entre 2005 et 2015 avec des voies publiques et des transports en commun pour désenclaver les quartiers qui sont souvent à l’écart de la ville. Celui-ci n’a pas eu le résultat escompté : ses effets sur le chômage et les inégalités économiques n’ont été que très minimes.

 

Zyed et Bouna ce sont deux noms, deux visages gravés à jamais dans la mémoire de milliers de jeunes issus de quartiers populaires.

Une jeunesse qui a vécu ces révoltes et en a subi les conséquences, et une autre qui a grandi en entendant ces noms et ces histoires qui aujourd’hui encore, ne font que trop bien écho à leur quotidien.

 

Le saviez-vous ?

Pendant les révoltes, des journalistes suisses s’installent à Bondy pour couvrir les événements depuis l’intérieur même des banlieues.

Ce qui a ensuite donné naissance au Bondy Blog que l’on connaît aujourd’hui et qui s’est donné comme mission de raconter le quotidien des personnes que l’on n’entend pas dans les médias traditionnels

 

Auteure : Salamata SALL

Millennials: quoi retenir de la Marche de 1983 ?

On vous en parlait récemment dans un post Instagram, puis en live avec la journaliste, autrice et éditrice Nadia Hathroubi-Safsaf : la Marche de 1983, de quoi s’agit-il ? Pourquoi est-elle un moment important dans l’histoire de l’immigration ? Quelle(s) mémoire(s) en reste-t-il aujourd’hui, et que représente-t-elle pour notre génération de jeunesse issue de l’immigration ?

 

Un moment clé dans l’histoire des luttes de l’immigration…

La Marche pour l’égalité et contre le racisme, c’est d’abord une action militante qui s’inspire de modes de protestations non-violents à l’image de ceux de Martin Luther King et Gandhi, en réponse à un contexte de crimes racistes et xénophobes : le but est de traverser la France à pied, de Marseille à Paris, pour protester contre les violences policières dans les quartiers populaires, les inégalités sociales subies par les immigré.e.s et descendant.e.s de l’immigration, la xénophobie, et revendiquer l’égalité des droits politiques.

De nombreux articles, ouvrages, films, archives photos et vidéos retracent l’histoire des trois mois de la Marche, durant laquelle les marcheur.se.s s’arrêtent dans des villes de France et rencontrent les habitant.e.s, pour aboutir sur un rassemblement sans précédent à Paris le 3 décembre 1983 : au départ moins d’une vingtaine de personnes s’élancent, au fur et à mesure rejoins de ville en ville avec une attention médiatique accrue, jusqu’à en faire un évènement d’une ampleur nationale inédite. Il débouche sur un rassemblement de plus de 100 000 personnes à Paris, suivie d’une réception d’une délégation de marcheur.se.s par le Président Mitterrand.

Pour un résumé de la Marche, vous pouvez aller (re)voir notre post Instagram qui revient en textes et en images sur cet évènement

Et aussi aller consulter de nombreuses archives vidéo et résumés en images de la Marche disponibles en ligne comme ce dossier de l’INA ou cette présentation du Musée de l’histoire de l’immigration, qui propose également un riche dossier bibliographique.

…Et pourtant sujet à des mémoires conflictuelles, voire effacées ?

La conclusion de la Marche est nuancée : elle marque une date sans précédent pour l’histoire des luttes de l’immigration des années 1980, où vont suivre de nombreuses autres initiatives militantes et associatives. Mais sa récupération par SOS Racisme va de pair avec une tentative d’essoufflement du mouvement politique à l’œuvre. Le nom même de « Marche des Beurs » utilisé très majoritairement depuis les années 1980 pour désigner la Marche est représentatif des problématiques mémorielles qui suivent cette mobilisation. Le sociologue Abdellali Hajjat, qui a consacré une étude majeure au contexte de la Marche, écrit ainsi à propos du nom de « Marche des Beurs » :
« À l’origine, « Beur » signifie « Arabe » en verlan et le mot est utilisé par les enfants d’immigrés maghrébins de la région parisienne pour s’auto-désigner. Mais le terme échappe rapidement à ses inventeurs et devient une forme d’assignation identitaire. Les “Beurs” ne sont plus des Arabes : ils ne sont ni des Français à part entière ni tout à fait des immigrés, et les “bons Beurs” se distinguent des “mauvais travailleurs immigrés”. Le terme “beur” scelle la séparation symbolique d’avec la génération des parents immigrés. Au moment même où les “jeunes immigrés” font leur entrée symbolique dans l’espace public, les travailleurs immigrés sont disqualifiés symboliquement lors des grèves de l’automobile (Citroën-Aulnay et Talbot-Poissy). Ce basculement est fondamental dans l’histoire de l’immigration parce qu’il correspond à la construction de l’opposition entre les “Beurs laïques assimilables” et les “immigrés musulmans inassimilables”. »

Abdellali Hajjat,« Retour sur la Marche pour l’égalité et contre le racisme », Hommes & migrations, 1304 | 2013

Au sujet de la déviation à l’œuvre dans ce changement de nom, et des mémoires conflictuelles de la Marche, vous pouvez aller consulter cet article de Slate, « Pourquoi il ne faut pas parler de « Marche des beurs », qui revient sur cette question et interroge notamment des acteur.ice.s de l’époque.

 

La mémoire et l’histoire comme enjeu politique : discussion avec Nadia Hathroubi-Safsaf

Journaliste, autrice et éditrice, Nadia Hathroubi Safsaf a consacré un livre à l’histoire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Sorti en 2013, la même année que l’étude de Abdellali Hajjat, à l’occasion des 30 ans de la Marche, elle y interroge notamment des acteur.ice.s de l’époque.

La marche pour l’égalité et contre le racisme – Abdellali Hajjat
La longue marche pour l’égalité – Nadia Hathroubi – Safsaf

Quand on demande à Nadia quel souvenir elle garde de la Marche de 1983, c’est surtout des suites qu’elle se rappelle. Assez jeune au moment de la Marche, elle nous raconte cependant toute l’effervescence qu’il y eut ensuite autour de SOS racisme et Touche pas à mon pote : « Mais je ne savais pas ce que cela signifiait, ce n’est qu’à la fac que j’ai découvert ce qu’était la Marche ». En effet, elle nous rappelle qu’à l’époque, il n’y avait pas internet et les réseaux sociaux, donc pas de visibilité des luttes qui ont pu être menées. Raison de plus de ne surtout pas les oublier : « Nous sommes tous.tes hériter.e.s de ces luttes ! »

Comment donc ne pas oublier, s’en rappeler, commémorer, transmettre et combler ce vide mémoriel ?« Il faut les archiver, car si on n’archive pas, c’est comme si elles n’existaient pas ». Par exemple, elle nous explique qu’en 2013, à l’occasion des 30 ans de la Marche, l’effervescence a été de courte durée. Alors même qu’on pourrait se demander : qu’est ce qui a changé ? : « J’ai un peu un sentiment amer en voyant que nos frères, pères, maris meurent toujours de violences racistes. », confie Nadia.
Alors aujourd’hui, on en est où ?
« Je pense qu’il faut qu’on produise, et qu’on ne laisse plus les autres nous raconter. Il faut qu’on se raconte ! Je saluais par exemple Ouafa Mameche, qui a créé les éditions Faces Cachées, je pense aussi aux éditions Premier Matin de novembre, ou encore Melting Book. Je crois qu’on infantilise beaucoup les quartiers populaires, et qu’on pense et parle à leur place. Mais malgré ça, maintenant ça bouge, et des choses émergent : quand on pense à Kourtrajmé, ou par exemple avec le récit des « Daron.ne.s » ! Pour que cette histoire continue à vivre, il faut qu’on s’en empare. »

Vous pouvez retrouver l’intégralité du live présenté par Ferial avec Nadia Hathroubi-Safsaf sur l’IGTV de Ghett’Up.

Zeïneb Imarraine

Loi “ Sécurité globale “ : Où en sommes-nous ?

L’heure est à la révision des modes opératoires de sécurité en France. Validée le 15 avril, la loi “Sécurité globale” entraînera des changements. A cette occasion, Kelly et Dylan du pôle plaidoyer Ghett’up vont débattre en live ce vendredi avec Alexandre Touzet. Représentant des maires au Beauvau de la sécurité, il pourra écouter les propositions qu’ils auront à lui soumettre.

 

Quel est le but du débat avec Alexandre Touzet ?

Kelly : “ Le but du débat avec Alexandre Touzet est de souligner le fait qu’il n’y a pas d’associations aux Beauvau de la sécurité et de se placer comme des acteurs qui s’inscrivent à l’intérieur. Même si on n’y a pas été convié. L'objectif de ce live est d’échanger et débattre plus particulièrement sur les problématiques liées aux liens entre la police et la population. C’est un représentant très important car il va mettre en place la loi de programmation de la sécurité intérieure pour le Beauvau de la sécurité. A souligner, qu’il y aura différents acteurs de quartiers pendant ce live avec nous.”

 Quelles sont les idées que tu souhaites lui soumettre ? 

Kelly : “ Tout ce qu’on souhaite lui soumettre est répertorié dans un “ position paper “ (note de position), dans laquelle nous sommes revenus sur les principales critiques qu’on entend et qu’on adresse à la police dans les quartiers. C’est-à-dire : “ une police illégitime, une police déconnectée, une police raciste etc.” Et on a essayé de trouver des solutions à l’ensemble de cette perception de la police. Il y aura donc des solutions qui sont déjà appliquées à l’international ou des questions qui sont déjà débattues depuis quelque temps en France également...L’idée est de soumettre des réponses concrètes pratico-pratiques à ces critiques. Du coup, on critique mais on propose.”

Penses-tu que cela aura un impact sur l’avenir des quartiers ?

Kelly : “ Je pense que cela pourrait avoir un impact. Et, les acteurs de quartiers peuvent être vus comme des gens avec qui on peut dialoguer. Mais il y a tout cet imaginaire collectif dans l’esprit des décideurs : que l’on ne peut pas discuter avec les acteurs de quartiers parce que ce sont des voyous, des personnes qui font des émeutes etc. Je pense donc que le fait d’engager un dialogue serein avec des propositions pourra permettre aux quartiers de mieux s’exprimer dans ce type d’évènements.”

Quels sont vos projets futurs concernant le Beauvau de sécurité ?

Kelly : “ L’idéal serait qu’il y ait un retour sur le Beauvau de la sécurité lié à l’intervention de Ghett’up et des autres acteurs de quartiers. On va soumettre à Alexandre Touzet la “position paper”, lui poser des questions, lui raconter des anecdotes… Afin de voir s'il va les reprendre pendant le Beauvau de la sécurité et s'ils vont être discutés durant cette réunion. Et c’est ce que l’on regardera lundi  [durant le Beauvau de la sécurité]. En dehors de ça, notre goal avec Dylan serait de créer un nouveau Beauvau de la sécurité en parallèle avec différents acteurs de quartiers qui échangent.”

 

OUPOH Cindy

On vous raconte « Nos Daron.ne.s »

Le premier janvier 2021 marquait le lancement de notre série-documentaire “Nos Daron.ne.s”, une expérience intergénérationnelle pour rendre hommage à nos parents et prendre notre place dans l’Histoire de notre pays.

Nous avions pour objectif de choisir une date significative et porteuse d’histoires, on vous explique tout.

Le 1er janvier, une date symbolique chez beaucoup de personnes issues de l’immigration

Le 1er janvier (ou le 31 décembre pour certain.e.s) est la date de naissance administrative de milliers d’hommes et femmes issu.e.s de l’immigration depuis les anciennes colonies.

Dans ces territoires, les services d’état civil étaient absents ou ne fournissaient pas de documents reconnus par l’État français.

Il faut savoir que dans le travail généalogique de l’histoire des familles, les états civils sont des sources primaires, fondamentales.

Leur absence ou leur non prise en compte rend le travail « d’arbre généalogique » quasi impossible et provoque une rupture des liens de filiation et de transmission mémoriels qui impacte des générations.

Sont concernés les immigrant.e.s issu.e.s de peuples anciennement colonisés mais aussi les « pieds noirs »: « Français d’ascendance européenne installés en Afrique du Nord jusqu’à l’indépendance ».

Pourquoi Nos Daron.ne.s ? 

Bien qu’il ait eu de nombreuses significations à travers les siècles, aujourd’hui, chez l’argot des jeunes de quartiers populaires, le mot daron.ne désigne les parents.

Notre argot est toujours vu du mauvais oeil, malgré le fait qu’il soit repris par de nombreuses personnes qui ne viennent pas de nos quartiers. La société continue de dénigrer ce vocabulaire qui représente pourtant toute la richesse de nos quartiers, et à plus grande échelle, de notre pays.

Insister sur ce vocabulaire, en être fier et le revendiquer, c’est une démarche politique de notre part pour réhabiliter nos identités de banlieusards. En sociologie, on appelle ça « le retournement de stigmate » : « il existe des processus de retournement du stigmate qui font du stigmate un médium de communication, de revendications, d’actions, etc. Le stigmate est alors mobilisé et revendiqué par le stigmatisé comme révolte contre sa situation » (discrim.fr)

L’importance d’avoir une telle série à portée de main

Nos Daron.ne.s c’est l’occasion pour de nombreux.ses jeunes issu.e.s de l’immigration de se réapproprier et de revendiquer leur histoire, mais pas que. C’est aussi une opportunité d’en savoir plus sur l’histoire de ses parents, de leurs sentiments, leurs rêves et du long chemin traversé depuis leur pays d’origine pour arriver en France.

Dans l’épisode 2, l’historienne Naïma Yahi disait :  » C’est extrêmement important de raconter ces histoires, déjà pour construire nos identités. Il faut porter fièrement nos histoires singulières, qui nourrissent dans un même lit, une histoire collective. Nous sommes dans une posture d’identité narrative : on va se raconter ensemble. On va s’incruster de gré ou de force sur la photo de famille. Et si nos aïeux ne sont pas sur la photo, on ne va pas s’en sortir. Parce que dans le regard de l’autre, moi, mes enfants et mes petits-enfants seront toujours ‘l’autre’, celui qui n’est pas légitime, celui qui ne fait pas partie de notre groupe. On doit prendre place à la table parce que sinon on sera toujours à la cave. Il faut qu’on se construise en tant que citoyen, et on ne peut pas se construire en amputant littéralement une partie de nous. »

En somme, Nos Daron.ne.s c’est célébrer ce besoin universel de savoir, de se valoriser, d’exister. Un pas vers la connaissance de son histoire, fondamentale dans la construction de son identité, de son estime de soi, et de son sentiment de légitimé dans une société.

Pour en voir et savoir plus go sur nosdarons.fr

Ilan Halimi, mort parce que juif

Il y a quinze ans, le 13 février 2006, la mort dans d'horribles circonstances d'Ilan Halimi a secoué la France.

Les faits.

Ilan Halimi est né le 11 octobre 1982 et est issu d'une famille juive marocaine.

Le soir du 20 janvier 2006, alors qu'il est âgé de 23 ans, Ilan est enlevé après avoir rejoint une jeune fille qu'il avait rencontré une semaine plus tôt dans le magasin où il travaillait. C'était en fait un guet-apens.  Il sera découvert 24 jours plus tard, le 13 février 2006, agonisant, le long des voies ferrées du RER C, à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Pendant ces 24 jours, Ilan va vivre un calvaire, séquestré et torturé dans un immeuble de Bagneux.

L'autopsie a révélée des brûlures sur 80% du corps, plusieurs hématomes et contusions, une plaie à la joue faite au cutter, et deux plaies à l'arme blanche sous la gorge. Ces trois semaines de tortures, auxquelles s'ajoutent l'affaiblissement dû au froid et la faim, ont conduits à la mort d'Ilan Halimi.

 

Le caractère antisémite de l'affaire.

Ces semaines de tortures avaient été orchestrées par "le gang des barbares", composé d'une vingtaine de membres âgés de 17 à 32 ans et mené par Youssouf Fofana. Ils avaient déjà organisé plusieurs tentatives d'enlèvement mais toutes avaient échoué.

Ses ravisseurs, avaient comme objectif d'extorquer la somme de 450.000€ à la famille Halimi, supposée riche car juive, en échange de la libération d'Ilan.

Lorsqu'ils se sont rendus compte que le famille Halimi ne disposait pas de la somme demandée, ils ont chargé un rabbin de récolter l'argent auprès de la communauté juive, pour payer la rançon.

Après la mise en examens des membres du gang, le parquet a retenu la circonstance aggravante de faits commis en raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, une race ou une religion déterminée.

15 ans après, ni oubli, ni pardon.

 

La naissance d'un "nouvel antisémitisme"

Suite à l'assassinat d'Ilan Halimi et des autres crimes visant la communauté juive dans les années qui ont suivi, le terme "nouvel antisémitisme" a beaucoup été entendu dans les médias et dans la politique.

Il désigne les nouvelles formes de discriminations envers les juifs, apparues depuis la fin du XXe siècle et le début du XXIe, et qui serait issu de l'opposition au sionisme et à l'État d'Israël notamment et qui émanerait des extrêmes gauche et droite.

En 2018, après deux années de baisse consécutives, le nombre d’actes antisémites (violences, menaces, atteinte aux biens, tentatives d'homicides et un homicide) recensés avaient bondi de 74 %, annonçait Christophe Castaner.

Pendant de nombreuses années, ce phénomène a été assimilé à l'islam, aux musulmans et aux quartiers populaires. On parle alors d'un antisémitisme qui est né dans les quartiers et les banlieues et dont les jeunes musulmans seraient les acteurs (antisémitisme des quartiers ou islamiste). En 2012, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France disait de l'antisémitisme qu'il était un " fléau dont nous savons qu'il est devenu de plus en plus important chez certains jeunes appartenant à la communauté arabo-musulmane en France."

Cependant, depuis 2018, on assiste à la réapparition d'une extrême droite virulente, qui passe à l'acte, notamment lors du mouvement des Gilets Jaunes où nous avons pu constater chaque samedi des actes et propos anti-juifs : " Bien qu'il soit né de revendications sociales et qu'il regroupe des manifestants n'arrivant pas à boucler leurs fins de mois, chaque samedi a été l'occasion d'actes graves ciblant la communauté juive. Sans que l'on puisse les attribuer aux gilets jaunes en général, mais sans qu'on puisse non plus les attribuer à d'autres " (via Liberation)

Selon une étude conduite par l'IFOP pour la Fondation pour l'innovation politique et l'American Jewish Committee, 34% des juifs de France déclarent se sentir menacés en raison de leur appartenance religieuse.

Aujourd'hui, l'antisémitisme est toujours trop présent dans notre société, et il nous incombe à tous de le combattre et de faire en sorte qu'il soit éradiqué.